Dans la deuxième partie de cet interview, Astrid Guyart nous explique l’apport de l’escrime dans le cadre des missions de l’association « Pour le sourire d’un enfant ».
02 décembre 2020 par ffescrime | Publié dans Fédération, Haut-niveau, Interviews
Retrouvez la première partie de l’interview ici.
Pourquoi l’escrime ?
Plusieurs raisons. La raison la plus évidente est que l’escrime est un sport de combat où l’apprentissage des valeurs morales va de pair avec celui du maniement de l’arme. Mais l’escrime est surtout le seul sport de combat qui se pratique à distance permettant ainsi de gommer l’avantage physique pur que pourrait avoir un garçon sur une fille. Les relations entre les garçons et les filles changent : les filles pratiquent sans complexe avec les garçons et découvrent leur capacité à s’imposer tandis que les garçons apprennent à les respecter.
Le témoignage reçu d’une jeune mineure accusée d’infanticide et libérée désormais depuis plusieurs mois résume parfaitement cela : « Avec l’escrime, j’ai senti une fierté en moi que je n’avais jamais connue ; j’ai appris à me battre pour construire seule ma vie et celle de mon fils ; je suis devenue libre et heureuse ».
Le fait d’être vêtu en blanc est important et très symbolique. En effet, au Sénégal, ce sont plutôt les personnes d’un haut rang social qui portent du blanc. Pour ces enfants c’est donc un symbole fort.
Porter un masque permet d’oublier, ce que l’on a été, son adversaire, et même son genre. Cela remet tout le monde sur un même pied d’égalité et de neutralité.
Par ailleurs, ce programme propose aux élèves l’auto-arbitrage. Le fait de s’auto-arbitrer et d’apprendre à dire « je suis touché » fait naître un autre rapport à la vérité. Les Mineur(e)s qui pratiquent l’escrime depuis un certain temps, reconnaissent les faits à l’audience ce qui contribue à atténuer la sévérité des juges.
Il n’y a aucun autre sport qui réunit toutes ces caractéristiques. A cela, s’ajoute évidemment toutes les vertus du sport comme l’acquisition d’habilités techniques et de facultés motrices, la concentration, le gain d’estime et de confiance en soi, le respect de soi et des autres, la relation à l’autre et à l’autorité.
A nouveau, ce témoignage d’un jeune mineur rencontré dans sa famille 6 mois après sa libération vaut plus que tous les mots : « L’escrime t’apporte la concentration ; depuis, je suis capable de m’asseoir pour réfléchir sur des questions importantes ; alors, tu peux prendre de vraies décisions et faire de bons choix pour toi et ta famille ».
La notion de contrôle de soi pour des enfants auteurs de délits ou révoltés contre la société est ici très intéressante. En dépassant la violence ou le désespoir qui les habite initialement, ils découvrent comment passer de l’agressivité à la combattivité, comment mieux maîtriser leurs émotions et mieux gérer leur frustration. Globalement, l’’activité physique leur permet aussi de retrouver l’énergie physique et psychologique que la détention malmène.
Mais au-delà des spécificités du sport, si le programme « Escrime et Justice réparatrice » fonctionne c’est aussi parce que le champ d’actions de l’association est global (respect du droit des mineurs, amélioration des conditions de détention, prévention de la délinquance, promotion de solutions alternatives à la détention carcérale, dialogue avec les autorités judiciaires, assistance juridique et sociale des familles) et que chaque acteur (mineurs détenus, agents pénitentiaires, parents, éducateurs escrime) fait finalement partie de la solution. Ainsi, au-delà de cette méthode, l’association veille aux respects des droits des mineur.e.s et cherche à prévenir la délinquance. Elle a ainsi permis la construction d’un quartier pour mineurs isolés du quartier pour adultes et l’extension du quartier femmes pour isoler, conformément à la loi, les mineures et protéger les femmes accompagnées d’un enfant en bas-âge.
Est-ce qu’il est prévu d’étendre ce dispositif à d’autres villes ou d’autres pays ?
Oui absolument ! L’objectif de l’association est de pouvoir étendre l’initiative « Escrime et Justice réparatrice » à l’ensemble des établissements pénitentiaires du Sénégal qui accueillent des mineur.e.s comme Saint-Louis, Kaolack, Diourbel, Tambacounda, Ziguinchor et Dakar , mais également en Côte d’Ivoire, au Maroc et au Rwanda à la demande des autorités de ces pays.
La formation des surveillants pénitentiaires est un point fort du dispositif éducatif. Cette méthode est incluse dans le cursus des élèves de l’école de l’Administration pénitentiaire. L’objectif est que tous les établissements pénitentiaires du Sénégal qui accueillent des mineure-s soient dotés d’un surveillant formé à cette méthode.
Comment chacun peut soutenir l’association « Pour le sourire d’un enfant » ?
Par des dons financiers, le parrainage d’un enfant mais aussi par l’envoi de matériel scolaire (stylo, crayons de couleurs, crayon de papier, régles) et de matériel sportif (matériel d’escrime et/ ou des ballons de foot, basket, hand-ball, volley). La Présidente de l’association peut récolter le matériel en France avant de l’envoyer ensuite au Sénégal.
C’est une période compliquée pour les clubs d’escrime, aurais-tu un message à passer aux jeunes pratiquants ?
Si j’ai un message à passer aux enfants c’est de garder le lien avec leurs camarades de club. N’hésitez pas à vous donner des nouvelles. Pratiquer l’escrime c’est prendre du plaisir et jouer avec son adversaire mais c’est aussi une vie de club. Un club c’est comme une petite famille, c’est un endroit où l’on se fait des amis et où l’on grandit ensemble. En ce moment, je suis en lien avec le club de Boulazac en Dordogne qui a mis en place « notre club a d’incroyables talents ». Le week-end, chacun poste sur les réseaux sociaux des vidéos et dévoile aux autres licenciés ses autres passions en dehors de l’escrime. C’est une autre façon de se découvrir et de garder ce lien unique que permet la vie en club.
Du côté de l’escrime en compétition, c’est une période difficile pour tout le monde. On a tellement peu de visibilité sur la suite de l’année et le calendrier de compétitions… De mon côté je prends les semaines les unes après les autres et je me fixe des petits objectifs. L’objectif du vendredi soir c’est d’atteindre celui que je m’étais fixé le lundi matin. Ce sont des objectifs que je contrôle, qui ne dépendent pas d’éléments extérieurs et qui me permettent de rester maître de ma vie. Et comme ces petits objectifs sont alignés sur un plus grand objectif (Les Jeux de Tokyo), cela me permet de garder mon cap, d’être toujours sur une pente de progression et de garder le moral.
Photos et vidéo : Laurent Daufès