Astrid Guyart, fleurettiste multi-médaillée, nous explique son rôle et ses missions en tant qu’ambassadrice de l’association « Pour le sourire d’un enfant ».
26 novembre 2020 par ffescrime | Publié dans Haut-niveau
Astrid, tu es l’ambassadrice de l’association « Pour le sourire d’un enfant », en quoi consiste le travail de l’association ?
C’est difficile de savoir par où commencer. Ils font tellement… mais en gros, l’association « Pour le sourire d’un enfant » intervient auprès de mineurs en situation de conflit avec la loi au Sénégal, avec pour priorité la protection et l’éducation de ces enfants.
Pour cela, l’association a élaboré une méthode de justice réparatrice au travers de la pratique de l’escrime et forme à cette méthode des agents pénitentiaires. C’est une autre approche de la détention et ce programme a une double vocation : faire du temps de détention un temps éducatif préparer les mineurs à leur entrée dans la vie d’adultes et rompre avec le cycle de recidive
Les mineur-e-s qui le souhaitent peuvent ainsi pratiquer l’escrime deux fois par semaine dans une salle aménagée par l’association à l’extérieur de la prison. Ils ont ainsi l’occasion de sortir de l’environnement carcéral, accompagnés par un-e surveillant-e pénitentiaire qui a suivi auprès de l’association la formation d’éducateur-trice en « Escrime et Justice réparatrice ». Et parce qu’elles sont organisées hors des liens de la détention, les séances d’escrime offrent aux mineur-e-s un espace de décompression et de socialisation qui modifie leur comportement durablement que ce soit en dehors ou au sein du milieu carcéral. De retour à la prison, les mineurs qui pratiquent l’escrime introduisent l’écoute et le respect dans les échanges et bannissent la violence comme mode de règlement des conflits. Ainsi, les escrimeur.e.s jouent un rôle de régulateur et de médiateur au sein du groupe de mineur.e.s détenus.
Combien de jeunes ou de femmes ont pu bénéficier de ces programmes ?
Depuis 2015, plus de 900 séances d’escrime ont été organisées ; plus de 300 mineur(e)s, filles et garçons, y ont participé. Ils sont encadrés par trois éducateurs de l’Association et une surveillante de la prison de Thiès, tous détenteurs du diplôme d’Educateurs en « Escrime et Justice réparatrice ». En 2020, 20 ont agents pénitentiaires ont obtenu la certification d’animateur-trice-s en Escrime et Justice réparatrice.
Aujourd’hui les résultats obtenus de l’association ont dépassé les attentes ! Avant que l’Association construise au sein de la prison un quartier réservé aux mineurs on enregistrait 80% de récidives. Avant le programme Escrime et Justice réparatrice, il y avait encore plus de 20 % de récidive. Désormais, il n’y a plus la moindre récidive après la libération des enfants, même parmi ceux qui étaient connus comme multirécidivistes. L’escrime a fait sauter le plafond de verre !
Globalement, les familles rencontrées plusieurs mois après la libération de leur enfant soulignent toutes, trois évolutions majeures : l’estime de soi, le respect des autres, l’assiduité au travail ou à l’école et un rôle de médiateur au sein de la fratrie.
Lorsque l’on entend cela, on ne peut qu’être fière d’être l’ambassadrice d’une telle association !
Comment t’es-tu retrouvée impliquée dans cette association ?
La Présidente de l’association m’a contactée car elle cherchait un ou une sportif(ve) pour porter cette association et lui donner une plus grande visibilité dans le monde du sport. On a été mises en relation par l’actuel entraîneur national junior de fleuret Amir Shabakehsaz. Nous avons donc pris un café et elle m’a tout expliqué. Après avoir écouté les histoires de vie de ces mineurs et de ces jeunes femmes détenues au Sénégal… j’étais bouleversée ! Ces enfants ont grandi dans des contextes qui expliquent comment ils se sont retrouvés en conflit avec la loi. Depuis quelques années, au Sénégal, le phénomène de bandes organisées s’est développé chez les garçons. Quant aux jeunes filles, il faut savoir qu’au Sénégal, l’avortement est considéré comme un crime. Par ailleurs, la sexualité étant encore un tabou, si ces jeunes femmes tombent enceinte, soit parce qu’elles ont eu des rapports sexuels forcés, soit simplement après un câlin d’amoureux, elles ont de grosses difficultés à en parler à leur famille. Par conséquent, si elles ne font pas purement et simplement un déni, elles cherchent à cacher leur grossesse, pensant qu’elles vont pouvoir gérer la situation toute seule. Sauf que l’enfant finit par arriver, et qu’il arrive souvent dans des conditions de panique qui entraînent son décès. Ces jeunes filles sont souvent dénoncées et se retrouvent directement en prison sans même parfois avoir le droit d’accéder à des soins. C’est dramatique ! C’est la double, voir la triple peine (violences sexuelles, grossesse non désirée, détention et parfois, rejet de sa famille).
Avant d’aller à ce rendez-vous, je m’étais dit : « je suis une petite blonde, j’ai eu la chance de grandir dans de bonnes conditions sociales, est-ce que je suis légitime ? ». Mais après avoir bu ce café, lorsque la présidente m’a officiellement demandé si j’acceptais d’être leur ambassadrice, j’ai ressenti comme une évidence. Je me suis dit que si l’escrime pouvait contribuer à ce que leur « après » soit meilleur que ce qu’ils avaient déjà connu, si je pouvais à mon niveau les aider à se bâtir une nouvelle vie, à calmer la colère que ces femmes doivent ressentir contre la société, alors je devais m’engager ! Dire non aurait été comme tourner le dos à toutes ces femmes. En fait, je ne pouvais déjà plus reprendre ma vie comme si de rien.
Comment se traduit ton rôle d’ambassadrice ?
Je suis venue une semaine sur place au Sénégal en juillet 2019. J’ai eu l’occasion de rencontrer chaque membre de l’association et de me rendre auprès des mineur.e.s à la Maison d’Arrêt et de Correction de Thiès. J’en ai profité pour leur donner des cours d’escrime. Le dernier jour, l’association avait organisé une compétition par équipes, gagnée par l’équipe 100% féminine, c’était absolument sublime. Lorsqu’elles sont rentrées à la prison avec la coupe dans les mains… c’était extraordinaire, immense ! Il fallait voir leur émotion, la joie de leurs codétenues qui fêtaient leur victoire. Les gardiennes de prison leur ont d’ailleurs laissé célébrer leur succès malgré l’heure tardive.
Retrouvez la suite de l’interview prochainement sur le site officiel de la Fédération française d’escrime ! Photos et vidéo : Laurent Daufès